Fin des années 50 : la boutique du marchand de jouets "Au Paradis", juste en face de chez moi, présente en vitrine un superbe petit train électrique formé d'une longue locomotive noire et racée tractant deux voitures vertes incroyablement détaillées : on voit à l'intérieur les cloisons rouges des compartiments avec leurs trois ouvertures asymétriques, les banquettes et même la rambarde qui court côté couloir, figurée par un mince fil métallique. Moi qui n'ai encore à l'époque qu'un gros train Hornby en tôle, j'écarquille les yeux.
Ce train, c'est celui du coffret "Nord-Express" de Jouef. La loco, c'est la Super-Pacific Nord 2-231 C 60 avec son tender 38A, les voitures, ce sont des voitures Est à 10 compartiments, conçues dans l'entre-deux-guerres par l'ingénieur Forestier. Des modèles simplifiés, raccourcis, en plastique, bien loin peut-être (en prix comme en qualité) des merveilles inaccessibles que fabriquent déjà les Allemands Märklin et Fleischmann ou l'Italien Rivarossi, mais qui pour moi sont des merveilles de précision et d'exactitude.
Ce coffret, je le recevrai à la Noël 1960, pour les dix ans.
Et depuis, j'ai toujours considéré que cette locomotive - le modèle réel comme ses reproductions en modèle réduit - était la plus belle des locomotives à vapeur françaises... (avec la 240 P Sud-Ouest d'André Chapelon), d'où cette collectionnite aiguë qui m'a poussé à rechercher dans les brocantes les diverses variantes du modèle : en dehors de celui, noir, d'origine, avec moteur "Saucisson" débordant dans l'abri, boudin de roues central absent, roues non ajourées, ancien attelage moulé avec le bogie arrière du tender, roues du tender en plastique à rayons non ajourées, Jouef en a sorti des variantes - verte et noire, marron et noire -, avec diverses motorisation, puis avec éclairage sur le tablier avant, avant de "faire le saut" en changeant le moule pour refaire le modèle, cette fois dans sa décoration d'origine "chocolat" de la compagnie du Nord.
Cette fois, la caisse était parfaitement à l'échelle (grâce à une motorisation installée dans le tender), celui d'origine, à cause de sa chaudière étroite, avait en effet dû être surdimensionné pour accueillir le volumineux moteur. S'il y avait quelques pièces de surdétaillage, Jouef en revanche ne daigna jamais équiper sa loco d'un embiellage complet. Ce fut aux amateurs ou aux artisans (comme Clarel) de pallier ces insuffisances en surdétaillant le modèle.
C'est ce que je me suis employé à faire moi aussi. Et comme la base n'était pas chère, j'ai pu me permettre de réaliser plusieurs variantes des deux séries : depuis la 3-1205 d'origine de la compagnie du Nord (avec son tender 31t à bogies Diamond) jusqu'aux modèles de la 2e série modifiée par l'ingénieur De Caso (entre autres, les 231 C 62 et 63)
en passant par la version Nord à écrans et tender 35 tonnes, les variantes à tender 38 tonnes, les prototypes 3-1249 et 1250 (devenus 231-D1 et 2 à la SNCF) équipés d'une distribution à piston valves Cossard et d'un échappement Lemaître, avec leur tôle réunissant dôme et sablière. Certains modèles n'ont subi qu'une "réhabilitation" légère (ainsi celui qui roule régulièrement sur le réseau de Paty-Pont), d'autres ont été modifiés plus profondément. Seule manque à mon tableau de chasse la version carénée et redécorée en bleu, utilisée pour tracter le train transportant les souverains britanniques entre Calais et Paris lors de leur voyage officiel dans les années 30.
SUPER PACIFIC NORD |
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Vues d'ensemble |
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Pacific Nord 3-1205 du dépôt de La Chapelle. 1re série (3.1201-1240), foyer Belpaire, compound et surchauffe. A l'origine, machines de la compagnie de l'Etat, avec tender léger de 31t équipé de bogies Diamond (tender moteur Piko modifié, redécoré et repeint). On notera l'absence d'écrans pare-fumées, les lanternes à acétylène et le tablier scindé en deux parties au niveau du bogie. L'embiellage (d'origine) est celui, simplifié, de la Pacific Jouef dernière série |
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Super-Pacific Nord, 3e série 3.1254, telle que modifiée par l'ingénieur De Caso. Modèle basé sur une maquette surdétaillée Jouef-Clarel elle-même élaborée à partir du modèle Jouef dernière série (Pacific Nord). Noter la finesse de l'embiellage et la qualité de la peinture. Sur un tel modèle, il n'y a plus qu'à rajouter quelques accessoires et une discrète patine à la terre à décor pour ôter le côté brillant de la partie mécanique. |
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La "Super Pacific Nord" 231 C 60 Jouef en état (presque) d'origine : seuls les rayons, les cercles de chaudière et les rambardes ont été passées au stylo argent et la plaque de tamponnement repeinte en rouge (premiers essais - maladroits - de surdétaillage). Malgré ses presque 43 ans, le modèle tourne toujours comme une horloge. Les charbons du moteur n'ont même pas été changés... (à propos de charbon, le modèle d'origine était également réputé pour sa sobriété en combustible) |
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La 2-231 C 50, passant en pleine vitesse devant le poste d'aiguillage Saxby de Paty-Pont. La base est une "Super Pacific Nord" Jouef 3e version, bicolore verte et noire à filets rouges, mais toujours moteur "Saucisson" : renumérotée C 50, celle-ci a été fort peu modifiée. Embiellage et train de roues d'origine (on remarque l'absence de boudin sur le train de roues central), mais bogies munis de roues à voile métallique et roues du bissel changées. Noter la (rare) voiture-restaurant France-Trains. |
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2-231 C 50. La même, donc, vue cette fois haut-le-pied à l'entrée de la gare de Paty-Pont, voie 2. On voit bien le tender, légèrement surdétaillé rambardes, échelles, charbon, plaques "attention caténaire", tampons à ressorts... On note également une partie des tuyauteries rapportées en corde à piano sur le corps cylindrique. En revanche, les mains courantes ont été simplement repeintes en noir mat. |
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Version prototype (3.1250 renumérotée 231-D2) modifiée en 1932, à partir des séries 3.1201 à 40 de 1923. Noter la distribution à came et pistons-valves et le carénage englobant sablière et boîte à fumée. Le modèle est basé sur une caisse Jouef 2e série (verte), embiellage modifié maison, tender moteur 38 tonnes surdétaillé |
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La 231 C 62 (ex-3.1262), appartenant à la dernière série, étudiée par l'ingénieur De Caso et mise en service en 1931. Les modifications tendaient essentiellement à renforcer le châssis et le mécanisme de ces machines destinées à tracter des trains à grande vitesse (la 3.1290 devait atteindre les 175 km/h en 1936) Le modèle, à robe vert et noir, décoré de filets crème, est doté d'un embiellage complet modifié à partir d'un embiellage de Pacific Sud-Est Jouef. Le tender moteur 37 A 62 est celui d'une 231-K Nord redécoré (rambardes, échelles, coffres, lanternes, tampons à ressorts, accastillages, charbon pulvérisé dans la hotte, peinture et transferts. |
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La 231 C 63 (ex-3.1263), appartenant à la dernière série, étudiée par l'ingénieur De Caso et mise en service en 1931. Sœur "presque" jumelles de la 62, celle-ci s'en distingue par une décoration différente (écrans pare-fumée verts à filets jaunes, tender à filets jaunes). L'embiellage, là, est de fabrication maison. Noter que presque tous les modèles ont été rééquipées de nouvelles roues (bogies et bissel) correspondant en diamètre et en nombre de rayons (9 à l'avant, 11 à l'arrière) au modèle réel. Tuyauteries en laiton (sauf le conduit de réchauffeur, en gaine plastique), robinets en laiton, tampons à ressorts. |
Vues avant |
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321 C 60 : vue avant. Modèle Jouef d'origine 1960. Les feux n'étaient pas fonctionnels. Noter les tampons rabougris, typiques de la production Jouef de l'époque. Noter également les roues du bogies à 10 rayons (au lieu de 9) et de diamètre trop réduit. L'écran pare-fumée droit a été recollé suite à un déraillement malencontreux ayant occasionné une chute dans un ravin... (:-\ |
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3.1205 : Version Nord 1re série, sans écrans pare-fumée à tablier non renforcé. Noter les deux lanternes à acétylène (fonctionnelles : une diode est introduite à l'intérieur) et au-dessus du tampon droit le "cinéma" d'affichage du numéro de train, avec le fil d'alimentation de son éclairage électrique. Les tampons ronds à ressort ne sont pas typiquement Nord mais ceux-ci n'équipaient pas systématiquement toutes les machines |
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3.1205 : gros plan sur la plaque de tamponnement et le cinéma d'affichage. Comme pour les lanternes à acétylène, l'affichage est fonctionnel : il est réalisé grâce à une diode rectangulaire, limée à la bonne dimension, dont le bord et le fond ont été peints en noir mat. Les chiffres sont en Letraset blanc. Il est permis de féliciter le décorateur pour la finesse anti-alzheimerienne des filets jaunes sur le cylindre et les marchepieds. |
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3.1254 : vue avant. Version Nord 2e série (avec écrans pare-fumée), réalisée par Clarel à partir du modèle Jouef Nord dernière série. Noter au-dessus du tampon droit le "cinéma" typique du réseau Nord, permettant d'afficher le numéro du train (comme la "girouette" des autobus) |
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3.1254 : autre vue permettant d'apprécier la finesse du travail de peinture ("le pro travaille à l'aéro") et de décoration (filets), les détails (échelle, lanterne, purgeurs de cylindres). Noter également les tampons Nord avec leur boisseau typique |
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231 C 50 : vue avant. Tampons à ressorts, attelage, macaron SNCF en laiton. Une lanterne à acétylène au milieu de la porte de boîte à fumée. Des lanternes à acétylène en laiton (non fonctionnelles) ont été rajoutées plus un gros phare électrique (tourné à partir d'une borne de domino en laiton !) placée au milieu de la porte de boîte à fumée. Noter l'échelle rapportée fixée devant le cylindre, les volants et rambardes rapportés sur le corps cylindrique. En revanche, embiellage et trains de roues motrices sont restés d'origine |
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231 C 62 : vue avant. Tampons à ressorts, attelage, macaron SNCF en laiton. Une lanterne à acétylène au milieu de la porte de boîte à fumée. Les lanternes d'origine (en fait les conduits de lumière de l'éclairage (il s'agit d'une Pacific Jouef version 2 éclairée) ont été conservées. Des LED y ont été introduites, des crochets en laiton insérés dessus (pour figurer la poignée d'une lanterne à acétylène) et des lanternes électriques unifiées en laiton (non fonctionnelles celles-ci), placées à l'extérieur. Noter, sur la vue agrandie les fils électriques d'alimentation desdites lanternes (figurés par un brin de fil électrique en cuivre) |
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231 C 63 : vue avant. Version plus sobre : lanternes électriques en laiton non fonctionnelles, tampons ronds à ressorts (peints en blanc immaculé : la machine doit sortir de révision). La porte de boîte à fumée à trois pentures (typique du Nord et devenue le modèle unifié SNCF) est équipée d'un volant rapporté en laiton. En fait, il s'agit d'une porte de 23I-K Sud-Est récupérée sur une caisse de rebut et introduite dans la boîte à fumée d'origine |
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231 D 2 : vue avant. La lanterne supérieure, réalisée en plastique et laiton est fonctionnelle (équipée d'une diode jaune... à l'époque, les diodes blanches n'existaient pas encore). Les deux lanternes posées sur le tablier sont des modèles commerciaux en laiton. Noter le fil électrique d'alimentation de la lanterne de droite et le verre bleuté de la lanterne à acétylène posée à gauche |
Cabines |
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3.1205 : cabine, vue côté droit. Noter les portillons (avec leurs rivets. entorse à la réalité : c'étaient de simples panneaux de tôle lisse. Le gros plan permet de bien voir la forme caractéristique (en "boîte à chaussures") du foyer Belpaire, permettant une meilleure combustion grâce à une surface de grille et un volume agrandis par rapport au corps cylindrique. Remarquer, le long du foyer, sous la main-courante en laiton, les fils électriques d'alimentation des éclairages et accessoires. Noter également le bissel équipé d'une roue à 10 rayons. La loco réelle qui m'a servi de modèle apparaît en page 203 de l'indispensable "Soixante ans de traction à vapeur sur les réseaux français (1907-1967)" de Lucien-Maurice Villain, publié chez Vincent, Paris, 1974. Une Bible aujourd'hui introuvable... |
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3.1254 : cabine, vue côté gauche. Noter la plaque de constructeur (SACM : Société alsacienne de construction mécanique), le numéro de série (plaque laiton), les portillons de cabine et, sortant à l'avant, la mince tringlerie de commande de la barre de changement de marche, typique de cette série de machines |
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231 C 50 : surdétaillage minimal : injecteur Edna Brass visible sous l'abri, plaques danger caténaire, sifflet et soupapes rapportés en laiton... mais aussi la rambarde verticale, en corde à piano, ainsi que La cabine s'orne encore de son numéro d'origine moulé et du macaron de sa plaque de constructeur... Jouef ! Noter le moteur "Saucisson" débordant largement dans l'abri. |
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231 C 50 : Cette vue plongeante sur le toit de l'abri permet de voir la plaque de protection caténaire réalisée à l'aide d'un banal rectangle de tulle à pansement, rigidifié par de la colle superglue et de la peinture, fixé dans un cadre constitué par une simple agrafe en laiton |
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231 C 62 du dépôt de la Chapelle : vue de la cabine. La vue rapprochée permet de voir, outre le chauffeur qui prend le frais (en fait il s'agit d'un mécanicien Preiser, mais en Allemagne, la conduite des locos est à droite... et je n'ai pas eu le courage de charcuter le malheureux pour le placer côté gauche), on notera la plaque de constructeur en laiton, l'injecteur Edna Brass placé sous la cabine et les portillons de cabine (fonctionnels) qui dissimulent (mal) la mini-prise de connexion électrique entre le tender-moteur et la loco (alimentation + éclairage). Noter également les rambardes du tender, simplement réalisées à l'aide d'agrafes en cuivre enfoncées à chaud |
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231 C 63 : cabine, vue côté droit. Là, visiblement, le chauffeur s'affaire et n'a pas le temps de mettre le nez dehors. Noter les portillons de cabine, l'injecteur Edna-Brass et la multiplication des câbles électriques qui courent le long de la boîte à feu (comparer au câble unique de la 3.1205, alimentant le cinéma sur le tablier avant), le sifflet et les soupapes en laiton. Les autocollants "attention à la caténaire" indiquent que la locomotive vit ses dernières années (entre 1955 et 1965), alors que le réseau du Nord était déjà en grande partie électrifié en 25000 V) |
Flancs |
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3.1254 : vue latérale permettant de détailler l'embiellage, les conduits de sablière, la pompe bi-compound, la barre de relevage du changement de marche |
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231 C 60 : Vue latérale du modèle Jouef d'origine : tuyauteries, rambardes, cercles de chaudière, pompe sont simplement moulés. Mais il convient de relativiser. Cette vue en très gros plan permet de voir que le moulage était fin et l'effet somme toute réussi - surtout comparé aux modèles de la même époque en zamac, d'un prix nettement supérieur... sans parler de ceux en tôle lithographiée comme les Hornby 0. A l'époque, ce type de modélisme était déjà une révolution |
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231 C 50 : Vue latérale du modèle légèrement remanié : une partie des tuyauteries et des volants sont rapportés en laiton. En revanche, la main-courante longeant le corps cylindrique a simplement été soulignée au feutre noir mat. Noter l'échelle en laiton rapportée devant le bogie avant. |
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231 C 62 : gros plan sur le flanc latéral droit permettant de détailler les robinets et purgeurs d'extraction en laiton, les descentes de sablière en fil de cuivre avec leur carénage de départ en tôle fine |
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231 C 63 : cette vue latérale permet de détailler les tuyauteries (fil de laiton) sauf la grosse conduite de réchauffeur, en gaine électrique plastique |
Tenders |
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3.1205 : tender 31 tonnes à bogies Diamond. La base est un tender moteur Piko remanié - échelles, rambardes, accessoires, peinture, filets... |
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35 60 : tender 35 tonnes du modèle Jouef 2e série (Pacific verte et noire) dans son état d'origine : bogies à roues pleine, charbon moulé dans la hotte, rambardes plastique, plaques non conformes |
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35-60 : tender 35 tonnes attelé à la 231 C 50. Le tender (non moteur) est celui de la version 3e série (caisse verte, châssis noir, filets rouges), avec un surdétaillage minimal : inscriptions, pose d'échelles et rambardes, charbon pulvérisé dans la boîte à fumée, lanterne arrière, conduite de vapeur et tampons à ressort. |
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37 A 32 : tender 37 tonnes. Tender attelé à la 231 C 62. La base est le tender moteur de la 231 C Jouef dernière série surdétaillé (rambardes en fil laiton, échelles, tampons à ressort, lanternes sur la plaque de tamponnement, volant de frein). La peinture sobre, est simplement voilée d'une couche de patine (coulures de tartre sur les caisses à eau) |
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37 A 46 : tender 37 tonnes attelé à la 231 C 63. Ce tender diffère légèrement du précédent par un certain nombre de détails de décoration (couleur, ajout de filets, plaque de constructeur en laiton, caillebotis le long de la hotte). Noter les différences de couleur de la numérotation, qui ont existé sur le modèle réel |
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38 A 57 : tender 38 tonnes attelé à la 231 D 2. La base est un tender moteur de 231 K Nord Jouef surdétaillé comme le précédent, les filets blanc cassé en plus. Noter les raccords de peinture, caractéristiques d'une "retouche en atelier" suite à un choc quelconque sur le flanc de la caisse à eau |
Photos JB Minolta Dîmage 7, 5,25 Mégapixels |